Festival NLSD : 15 ans d’avance sur l’agroécologie

Le quinzième festival du Non Labour et Semis Direct s’est déroulé le mercredi 18 septembre 2013 au lycée du Chesnoy, à Amilly, près de Montargis (45). Organisé avec une forte collaboration de l’équipe BASE locale, cette manifestation a été une grande réussite. Les constructeurs et les partenaires régionaux étaient nombreux. Plus de 2 000 visiteurs sont venus faire les curieux et s’imprégner de la « bonne parole » agronomique.

Le chapiteau des conférences a été, une fois de plus, trop exigu pour le public venu en masse. Les intervenants ont su fixer la concentration des 500 spectateurs très attentifs. Odette Ménard, en final, a tenu en haleine son auditoire jusque tard dans la soirée.

Les expositions et démonstrations de matériel sont un lieu d’échanges particulièrement fréquenté. Des nouveaux venus ont fait leur première apparition, mais beaucoup d’innovations étaient également présentées chez les constructeurs habituels.

  • La société finlandaise TUME, fraîchement débarquée sur le marché français, exhibait deux semoirs directs à céréales avec double trémie semences et fertilisants.

  • Novag exposait pour la première fois son semoir construit en France sur le système cross slot, mis au point par le néozélandais John Baker. En utilisant une pièce en T inversé de part et d’autre du disque, la semence est positionnée à l’écart du fertilisant, du lissage éventuel du disque et étroitement mêlée au sol.

  • Optill diffusion, importateur des strip-tills Orthman, présentait un élément de semoir monograine mécanique.

Et de nombreux strip-till chez Sly France, Gauvin, Jammet, Laurent Lorre, Duro, Franquet, Kuhn, etc. qui révèlent l’indéniable engouement qui est porté actuellement à ce type d’appareils.

Le mauvais temps des jours précédant le festival avait laissé une terre trop humide pour organiser toutes les démonstrations initialement prévues, mais les techniciens et constructeurs présents ont joué le jeu et répondu à toutes les questions des utilisateurs potentiels. La plupart de ces appareils demandant des adaptations particulières aux conditions locales, la sollicitation a été très forte sur les stands.

Les élèves et étudiants d’une dizaine de structures d’enseignement de la région Centre étaient venus se mêler aux élèves du lycée du Chesnoy. De nombreux professeurs ont profité du NLSD pour mettre à niveau leurs cours d’agronomie et de phytotechnie.

Tout au long de la journée, les agriculteurs du groupe BASE ont organisé sur leur stand une rotation d’exposés et de témoignages sur leurs pratiques de terrain. Riches d’enseignements et d’expériences, ces exposés ont été intensément suivis par des visiteurs ravis d’en savoir plus sur les retours sur expérience des adeptes des TCS.

Claire Chenu (Agro Paris Tech, UMR Bioemco Grignon)

Les matières organiques (MO) assurent des fonctions essentielles dans les sols. Elles sont responsables de la fertilité chimique, en contribuant à la nutrition des plantes, de la fertilité biologique, en assurant l’alimentation de la faune du sol et de la qualité physique des sols par leur action sur la plasticité et la rétention de l’eau. Elles ont aussi un effet sur la qualité de l’eau, en produisant, par minéralisation, des nitrates et des phosphates et en fixant les pesticides et les métaux. Elles ont un dernier rôle sur la qualité de l’air car leur fixation évite une minéralisation qui produit des gaz à effet de serre comme CO2, N2O et méthane.
Les matières organiques constituent la plaque tournante des cycles des éléments majeurs, que sont le carbone, l’azote, le phosphore, et certains polluants.
Elles assurent le stockage du carbone (C) dans les sols qui en contiennent 2 à 3 fois plus que l’atmosphère.
Pour leur gestion, leurs caractéristiques doivent être prises en compte : quantité, qualité, localisation et dynamique. Elles se renouvellent constamment et sont constituées de débris végétaux et d’organisme vivants.
Les matières organiques participent à la fourniture d’azote par le flux de minéralisation.
Physiquement, elles limitent la battance. Une étude de l’Inra a mis en évidence que la stabilité de la structure est liée au taux de MO, grâce à des débris de racines, des champignons et des sécrétions de micro-organismes du sol sur la couche superficielle.
Un taux élevé de MO a un effet sur la qualité physique et le stock de carbone du sol. Il favorise la stabilité de la structure en fournissant des nutriments. Les différentes formes de MO agissent de façon variable sur la capacité d’échange, la structure ou la protection du sol.

Les outils de mesure et de gestion du carbone

Le traditionnel rapport C/N n’est plus le seul élément. L’Inra a mis au point une analyse, normalisée à l’Afnor, par fractionnement granulométrique des MO. Il s’agit d’une dispersion du sol, par agitation dans l’eau, qui sépare les fractions.
Ce protocole permet de scinder les sables minéraux et les MO associées aux limons et aux argiles. Les différentes fractions mesurées assurent des fonctions différentes.

Le stockage du carbone dans les sols et sa mesure

Stocker du carbone dans les sols a un intérêt en termes de propriété et de fonction. Les mesures par analyse de sol sont simples mais doivent être interprétées rigoureusement.
Le comparatif entre parcelles sous labour et en semis direct a montré que la répartition des taux de MO est contrastée pour un stock identique. La profondeur du prélèvement a une influence. L’effet tassement du sol doit être inclus dans l’analyse des résultats. Globalement, cet effet est favorable en faveur du non travail du sol mais la littérature aurait eu tendance à le surévaluer.
L’Inra a publié une carte du carbone, à échelle cantonale, dans les sols. Elle montre que des milliards de tonnes sont stockées dans nos régions. Ces stocks varient au cours du temps, positivement, mais aussi négativement.
La teneur et le stock du carbone dépendent de son cycle. La présence primaire est à prendre en compte, ainsi que la balance entre restitution, consommation et importation.
La consommation est en grande partie réalisée par les micro-organismes mais l’érosion et le lessivage, bien que faibles dans nos conditions, ne sont pas à exclure.
Les actions que les agriculteurs peuvent mettre en œuvre pour contrôler le niveau de carbone sont les suivantes : la restitution des résidus de culture, le développement des cultures intermédiaires, l’installation de prairies temporaires, des dispositifs d’agroforesterie et des haies et des possibilités d’apport de produit résiduaire organique.
Les flux de sortie par minéralisation doivent être limités. La réduction de travail du sol, en réduisant la déprotection des MO sous l’action désagrégeante de la pluie, procure une action positive. Un travail de synthèse de l’Inra montre que, malgré une forte variabilité, le stock de carbone est plus important en semis direct qu’en labour. Par contre, le bénéfice de la concentration dans les couches superficielles d’un sol non labouré est lui bien une évidence.

Le stockage du carbone du sol et ses limites

La remontée des taux de matière organique dans le sol est lente. Une décennie peut être nécessaire pour relever un niveau bas. Pour les seuils élevés, elle n’augmentera plus au-delà d’une certaine valeur et se stabilisera. Par contre, la réversibilité est possible.
Claire Chenu conclue en reprenant les différentes voies d’action qui permettent d’augmenter les teneurs et les stocks de carbone dans le sol. L’atténuation des émissions de gaz à effet de serre est un levier temporaire, mais réel en milliers de tonnes de carbone sur la France.
Les bénéfices sur la qualité des sols, la qualité de l’eau et de la biodiversité amènent l’agronome à conclure que la teneur des stocks de MO dans les sols pourrait devenir un objectif de mesure agro-environnementales.

Agronome au ministère de l’Agriculture, Pêcheries et Alimentation du Québec (Amapaq)

Après Jocelyn Michon en 2012, Odette Ménard revient en France nous faire part de l’expérience québécoise sur l’agriculture de conservation.
Réputée pour sa thèse sur les cabanes de vers de terre, sous des amas de matière organique, la très appréciée agronome canadienne nous a fait part de son expérience de 25 ans sur l’évolution du système agronomique dans son pays. Le passage au non labour et les indicateurs sur la santé des sols étaient le thème de son intervention.
L’érosion par l’eau a été l’élément déclenchant de la réflexion vers la simplification du travail du sol. Les études ont montré que cette érosion s’accompagnait d’autres problèmes comme la compaction ou l’acidification.
La couverture du sol, associée à la réduction des façons culturales ont été les mesures adoptées. Les agriculteurs ont montré une certaine résistance à modifier leurs pratiques. Il aura fallu sept ou huit ans et la considération économique du problème pour que le terrain s’approprie le dossier et y réponde favorablement.
Les comparatifs labours et semis direct se sont avérés positifs pour ce dernier. En maïs, il n’y a pas de perte de potentiel de la culture. La réduction de 30 % du nombre de passages dans les parcelles et de moitié de la consommation de carburant, ont contribué à améliorer les marges économiques des agriculteurs.
Des études affinées ont même été jusqu’à estimer que la durée de vie du tracteur était allongée de 9 ans sur les exploitations en semis direct ! En une quinzaine d’année, d’une situation initiale où 65 % des parcelles étaient labourées et seulement 3 % semées en direct, les canadiens sont passés respectivement à 40 % et 20 %.
La progression était visible mais pas complète. Les travaux sur les vers de terre vont conforter l’argumentaire et déclencher un réel engouement.
Les observations de l‘équipe d’Odette Ménard sur les « cabanes » dans lesquelles les vers de terre tiraient des résidus organiques en formant ainsi des petits amas, ont été une première étape. L’extrapolation ensuite à la vie du sol, avec la constatation qu’une faune en bonne santé traduisait un sol en bon état, a été perçue très favorablement par les agriculteurs.
La biomasse du sol est constituée à 22 % de vers de terre, 39 % de bactéries, 28 % de champignons, 5,5 % de protozoaires et 5,5 % d’autres.
Les vers sont la partie visible d’un sol qui fonctionne bien : plus de vers = plus de champignons = plus de mycorhize = plus de glomaline = plus de performance racinaire = plus fort développement des plantes et naturellement un meilleur rendement.
La vie microbienne du sol est donc un élément central. L’agronome canadienne en conclut que c’est l’élément Oxygène qui est le plus déterminant à considérer pour la qualité d’un sol.
Dans un sol travaillé en conventionnel, l’efficience de l’azote est estimée entre 30 et 40%. Dans un sol en bonne santé biologique, elle est de 80 %. Pour un même rendement sur une parcelle de maïs, une fumure de 220 unités d’azote en conventionnel aura le même effet que 120 unités en SD.
Avec cette argumentation plus pragmatique, les surfaces en labour se sont encore réduites de 20 % et celles en semis direct ont pris 15 % supplémentaires.
L’observation et la compréhension du fonctionnement de son sol est pour Odette, une démarche fondamentale. Prendre sa bêche et comprendre l’impact du travail ou du non travail est capital. Protéger la faune du sol, la nourrir avec des résidus organiques aura un impact positif sur la structure. Ce travail peut être de longue haleine, mais il doit être impérativement réalisé par les agriculteurs. S’ils n’ont pas d’action possible sur les prix de marché de leurs grains, ils ont par contre là de quoi améliorer positivement le résultat économique de leur exploitation. Une finalité que tous les agriculteurs de tous les pays doivent comprendre et tâcher d’améliorer.

Passéiste ou visionnaire ? Le festival Non labour et semis direct est-il apprécié à sa juste valeur ?

En croisant les visiteurs le long des allées du festival, il y a de quoi être optimiste sur l’avenir de la profession d’agriculteurs. Manifestement, les jeunes étaient très représentés et pas uniquement les lycéens ou les étudiants. Il est manifeste que les réflexions sur des systèmes de culture innovants intéressent cette catégorie d’agriculteurs.

La dénomination « Non Labour et Semis Direct » qui avait été retenue il y a une quinzaine d’années semble aujourd’hui un peu passéiste et réductrice face aux terminologies actuelles comme « agriculture durable » ; « agriculture de conservation » ; « agriculture écologiquement intensive » ou « agro-écologie » mais ne nous y trompons pas, le fond de raisonnement est le même. Serions-nous victimes d’avoir été précurseurs du sujet ? Le ministre de l’Agriculture de 2013, sensible à ce thème, offrait le trophée de l’agriculture durable lors d’un concours de labour voisin. Dès lors, on peut se demander si notre démarche a été appréciée à sa juste valeur… à moins que d’autres paramètres moins louables ne viennent perturber cet ordre de valeurs.