NLSD 2014 : la part belle aux couverts associés
Le 16e festival du Non labour et semis direct s’est déroulé le mercredi 24 septembre 2014 au lycée agricole Naturapolis de Châteauroux, dans l’Indre. Comme à l’accoutumée, un cycle de conférences était proposé aux visiteurs et mettait cette année là à l’honneur le thème des couverts associés.
Guillaume Houivet (Chambre d’Agriculture de l’Indre) a dressé un état des lieux du développement des TCS et du semis direct dans le département.
Pour certains agriculteurs, s’engager dans ces techniques était au départ destiné à répondre à des contraintes réglementaires (cultures pièges à nitrates) ou bien, dans l’Indre, à améliorer la portance des sols hydromorphes, en particulier dans le Boischaut Nord.
Mais ensuite, un changement d’échelle s’est opéré dans la réflexion, avec la recherche de systèmes de culture innovants. Le paradigme a évolué, le vocable change : du non labour et semis direct, on passe à une « approche systémique ».
Selon Frédéric Thomas (revue TCS), l’Administration aurait mieux fait de parler de recycleurs d’azote que de cultures intermédiaires pièges à nitrates. La profession doit maintenant être proactive et se réapproprier les choses.
Il faut cependant reconnaître que la réussite des couverts en interculture est encore trop aléatoire. Comment mieux maîtriser ses couverts ? Quelles cultures implanter pour diversifier l’assolement ? Il est par exemple difficile de maîtriser un couvert entre deux céréales à paille.
Il y a là un premier frein important à lever. Un détail technique ou une météo défavorable peuvent suffire pour compromettre la levée du couvert.
Jusqu’à récemment, l’approche était axée sur le couvert et son impact sur l’azote et la fertilisation. Depuis peu, la réflexion est orientée sur son impact vis-à-vis des bio-agresseurs.
Les plantes de couverture associées aux cultures sont en plein développement, par exemple, un colza implanté dans une luzerne ou des plantes compagnes sur céréales.
Le principe : la plante de couverture associée étouffe les adventices, apporte de l’azote et de la porosité biologique au sol.
Ce type d’associations peut poser des difficultés et certains expérimentateurs subissent des échecs.
Gilles Sauzet (Cetiom) confirme que dans une situation où la levée de géraniums est assurée, mieux vaut ne pas faire de colza associé. Cependant, si faire un colza associé présente une part de risque, c’est aussi le cas pour un colza seul !
Hubert Charpentier (agriculteur dans l’Indre) garde des luzernes en place pendant six ans. La compétition pour l’eau entre la luzerne et le blé n’existe pas, la luzerne ayant possiblement des racines de 30 mètres ! Par contre, le trèfle concurrence le blé car il développe ses racines à la même profondeur que lui.
Autre axe porteur : le semis au strip-till (« labour en bande ») ; outil provenant des États-Unis et travaillant uniquement la future ligne de semis, l’inter-rang n’étant pas touché. L’intérêt est de combiner l’avantage du semis direct, en essayant d’en atténuer les inconvénients. Les essais avec localisation d’engrais au semis sont prometteurs.
Le strip-till peut être suivi d’un désherbage localisé.
Les agriculteurs lancés il y a 10 ou 15 ans ont payé les pots cassés et cela a pu donner une mauvaise image aux autres. Se lancer dans ces techniques constitue une prise de risque : il est alors essentiel d’intégrer des groupes et réseaux d’échanges. Des réunions comme celle proposée par le NLSD ont toute leur importance car l’échange entre agriculteurs est ici fondamental.
Aujourd’hui, on constate un fossé entre les pionniers qui peaufinent leurs techniques culturales et les débutants.
Dans ces modes de culture, les « intrants » principaux sont : l’élévation du niveau de connaissances, le développement de l’observation et la création de ses propres références. Le copier-coller ou le tout prêt ne fonctionnent pas en semis direct.
L’évaluation économique et environnementale du changement des pratiques doit se faire à l’échelle de la rotation, sur plusieurs années.
Philippe Lion, ancien technicien de chambre et agriculteur en semis direct en Touraine, a présenté des résultats d’essais à Mûrs (essais BASE-FNACS). En 2e année (2009), le labour a encore l’avantage en termes de rendement en blé :
• Labour : 85,6 q
• TCS : 79,6 q
• Semis direct : 77,7 q.
Ce résultat est à relativiser s’il est comparé avec l’effet « précédent » : 16 q/ha de plus avec un blé de soja.
En 3e année (2010), les parcelles labourées ont été plus salies en vulpin que les parcelles en TCS ou semis direct.
En 5e année (2012), le semis direct donne un meilleur rendement :
• semis direct : 97,1 q
• TCS : 93,5 q
• Labour : 87,2 q.
Les TCS et le semis direct laissent beaucoup moins de reliquat azoté que le labour :
• Labour : 110 kg/ha
• TCS : 39 kg/ha
• Semis direct : 30 kg/ha.
Les résultats sont sans appel : l’azote est davantage gaspillé en labour qu’en TCS ou SD.
L’enracinement est plus important en semis direct qu’en labour. Cela a été mesuré précisément par analyse de profil de sol, à l’aide d’une grille (carrés de 1,25 cm de coté). L’occurrence de présence racinaire est de :
• 38,6 % pour le semis direct
• 32,1 % pour le labour
• 27,6 % pour les TCS (l’horizon superficiel étant le seul travaillé, les racines s’y concentrent).
Sans surprise, le coût d’implantation en semis direct est plus faible :
• Labour : 115 €/ha
• TCS : 68 €/ha
• Semis direct : 41 €/ha.
Si l’on regarde en 1re année (2008) le revenu par hectare, les TCS et le semis direct donnent de moins bons résultats :
• TCS : 45 €/ha de moins que le labour
• Semis direct : 43 €/ha de moins.
Mais dès la 3e année (2010) et pour le reste de la période de transition, le résultat est sans appel : les TCS et le semis direct reprennent l’avantage. De 2010 à 2014, le supplément de revenu cumulé par hectare s’élève entre 280 et 320 €. Le cours du blé n’a aucun impact sur l’écart de rentabilité.
Le semis direct divise le temps d’implantation par 4 ou 5. Le temps ainsi gagné permet d’augmenter sa qualité de vie ou d’envisager d’autres activités.
Stéphane de Tourdonnet (enseignant-chercheur à SupAgro Montpellier) a présenté le bilan du projet Processus écologique et processus d’innovation technique et social (Pépites) en agriculture de conservation, mené dans les pays du Nord et du Sud.
Pour lui, le premier enjeu de l’agriculture de conservation est d’inventer des systèmes techniques, à l’aide du prototypage. Cette méthode consiste à partir d’une feuille blanche, à fixer l’objectif puis à définir les moyens à mettre en œuvre pour l’atteindre. Il faut savoir sortir des cadres établis pour innover.
Le 2e enjeu est le lien chercheur/praticien (agriculteur) dans la compréhension des processus, l’hybridation des connaissances.
Le 3e enjeu est l’accompagnement de l’innovation. Au départ, le point focal était le matériel. Puis, ensuite, cela a été le sol et maintenant les plantes de couverture.
Stéphane de Tourdonnet distingue deux types de conseil :
• Le conseil « assurantiel », prescriptif et dirigé, avec paquet technique qui fonctionne, absence de couverts végétaux et présence d’herbicides, un conseiller en position d’expert et qui endosse le risque, un conseil individuel en face-à-face ;
• Le conseil « de recherche », non prescriptif, basé sur l’apprentissage progressif, l’appropriation personnelle des techniques par l’agriculteur faisant preuve d’autonomie, conseil en groupe/réseau, l’agriculteur dose lui-même le risque, a la capacité d’apprendre et de concevoir par lui-même.
Il regrette qu’il y ait aujourd’hui si peu de ressources pédagogiques pour comprendre les processus biologiques du sol. De telles ressources sont mises en ligne à partir de septembre sur le site de Pépites.
John Baker est agronome à l’USDA, à Saint-Paul dans le Minnesota. Cet État de la Corn Belt est dominé par le modèle maïs/soja OGM. Le soja laissant peu de résidus et ayant un cycle court, l’érosion des sols est très forte entre mai et juin.
Afin de lutter contre cette érosion, une couverture permanente du sol est nécessaire.
Première contrainte : le semis
Les chutes de neige débutant parfois au moment de la récolte du maïs à l’automne, l’implantation d’un couvert d’interculture est impossible.
Des semis de seigle d’hiver (winter rye) par hélicoptère ont alors été testés. Outre la nécessité d’une très bonne formation du pilote est nécessaire, les résultats de ces essais ont été mitigés.
Des semis au tracteur dans les champs de soja ont également été testés avec des résultats un peu meilleurs.
Seconde contrainte : la destruction du couvert
Si elle intervient trop tôt, l’érosion augmente. Si elle intervient trop tard, la culture suivante en est affectée. Dans le système du Farm Bill, où les cultures sont assurées pour leur chiffre d’affaires, l’assureur refuse jusque là de prendre en charge une perte de rendement liée à la mauvaise gestion d’un couvert.
Ce problème a été surmonté par un suivi précis des précipitations et de l’évaporation.
Une autre solution plus prometteuse consiste à implanter une légumineuse vivace, le trèfle du Caucase ou trèfle kura (kura clover ; Trifolium ambiguum). Il est tolérant au froid, à la sécheresse et peut fixer 150 kg d’azote/ha/an.
Après un broyage du trèfle kura, le maïs est semé au strip-till avec localisation d’engrais starter. Suit un épandage d’engrais liquide et un épandage de glyphosate à faible dose qui ralentit le développement du trèfle pour éviter la compétition avec le maïs OGM.
Le recours au trèfle kura réduit la facture d’engrais de 40 %. Il limite aussi les fuites d’azote et l’infiltration de l’eau est bien meilleure.
A cela 4 limites :
• la difficulté de trouver de la semence de trèfle kura ;
• son démarrage est lent la première année, mais le broyage a un effet stimulant et en outre, il détruit les adventices ;
• le maïs lève plus tard lorsqu’il est associé au trèfle. Cela s’explique par le trèfle laissé dans la ligne travaillée par le strip-till. A cela, John Baker a trouvé une parade : il a inventé un strip-till travaillant la ligne de semis en forme carrée et un peu plus large que la forme traditionnelle en V.
• enfin, comment se passer à l’avenir du Round-up Ready (paquet OGM/glyphosate) ? Un auditeur demandant si le trèfle kura risque de devenir un jour complètement résistant au glyphosate, John Baker répond : « That may ultimately be an issue » (cela pourrait être un risque extrême). Mais une autre piste est déjà à l’étude : la tonte du trèfle entre les rangs de maïs !
Les chercheurs de l’Université du Minnesota travaillent sur une espèce de blé vivace ou pérenne appelée « intermediate wheatgrass » (Thinopyrum intermedium). Ils tentent d’améliorer la domestication de l’espèce sauvage et d’augmenter sa qualité boulangère et son rendement. Ce blé vivace perd beaucoup d’énergie pour la conservation de son système racinaire, ce qui explique son rendement faible.
Ce blé resterait en place de manière pérenne et serait re-moissonné chaque année ! Dans les zones sujettes à l’érosion, la couverture du sol et son équilibre biologique seraient ainsi assurés.
L’Université du Minnesota travaille également sur un tournesol vivace.