2012 : Le Non Labour et Semis Direct en Auvergne !

La 14e édition du festival du NLSD (Non Labour et Semis Direct) s’est déroulée le mercredi 19 septembre au Lycée agricole de Marmilhat, près de Clermont-Ferrand (63). Cette structure abrite le plus important centre de formation d’enseignement agricole d’Auvergne.
Les constructeurs étaient venus nombreux. Strip till, semoirs directs, déchaumeurs, toutes les dernières nouveautés étaient présentes et les techniciens ont pu répondre aux multiples demandes d’information.
Les conférences ont, comme tous les ans, été suivies par un très large public. Elèves, étudiants, enseignants et chercheurs sont venus se joindre à la communauté toujours plus importante des TCistes. Comme à l’accoutumé, Frédéric Thomas avait rassemblé des « pointures » de différents horizons.

Les différentes interventions

Les expériences en agriculture de conservation ne manquent pas dans le Puy-de-Dôme. Les sols du département sont très variés, alliant des sols granitiques, volcaniques, sablo-limoneux, argilo-calcaires plus classiques aux fameuses terres noires de la plaine de la Limagne. Les hivers sont globalement secs, les printemps humides et les étés peu arrosés avec une pluviométrie orageuse et donc aléatoire. Les implantations de couverts végétaux pâtissent de ce caractère incertain de la météo. La Chambre d’agriculture départementale du Puy-de-Dôme travaille sur ce sujet depuis 2008 avec un réseau d’expérimentation. Elle a abouti à un certain nombre de recommandations qui rentrent dans les conseils auprès des agriculteurs.

Sylvain Mialon (CA 63) : Parmi les observations réalisées sur le terrain au niveau des cultures de couvertures, l’association des espèces a toujours montré un développement plus favorable que les espèces seules. La production en matière sèche s’en trouve améliorée et la présence d’une légumineuse a pour effet d’augmenter la teneur azotée contenue dans le couvert. Les cultures de printemps les plus courantes étant un maïs ou une betterave, il est préférable de retenir des espèces qui améliorent la structure du sol. Le radis nématoïde qui associe un effet antiparasitaire à un effet structurant est souvent recommandé.
Les observations faites par la Chambre ont aussi permis d’identifier des pratiques à éviter. C’est le cas de la moutarde qui, de par sa destruction tardive et sa nature lignifiée, entame le potentiel du maïs. De même, les repousses de colza avant betterave ouvrent la porte aux attaques de nématodes.
Ces observations corroborent celles qui ont été communiquées lors des précédents NLSD.
Les techniques d’implantation de couverts ont également été étudiées. La technique la plus courante est le combiné herse rotative semoir sans déchaumage préalable. Le semis à la volée avant récolte soit avec des épandeurs type anti limaces ou avec un épandeur d’engrais est à l’étude. Les investissements en semoir direct sont plus rares, mais la réussite de ces implantations donneront des idées à certains.

Jean-Marc Albourie de la société Limagrain intervenait ensuite sur le maïs semence. Installée dans le Puy-de-Dôme, Limagrain suit un grand nombre de producteurs. Depuis 3 ans, cette société tente d’introduire les techniques culturales simplifiées (TCS) et l’agriculture de conservation (AC) pour l’installation de ses surfaces semencières.
Le technicien de Limagrain a précisé que la production de maïs semence doit être considérée comme une culture à part entière. La synchronisation des floraisons des parents mâles et femelles est un impératif qui se traite avec un décalage dans les dates de semis. La multiplication de passages dans les parcelles occasionne des trafics qui sont source de dégradation de la structure du sol. Les écartements sont réduits, les lignées sont moins développées que des plantes hybrides, les conditions sont donc propices aux salissures et aux ravageurs. Pour atteindre un développement optimal, et obtenir une levée rapide et homogène, la protection phytosanitaire obligatoire de base comprend un traitement de semences et une fertilisation starter. Dans le département du Puy-de-Dôme, Limagrain suit 5 500 ha de maïs semence dont 90 % sont labourés. Malgré leur faible présence, les 10 % de non labour sont une avancée considérable car l’abandon de la charrue n’est autorisé que depuis peu. Les rotations culturales sont souvent courtes (maïs-blé) et les matériels de plus en plus lourds. La compaction des sols et leur manque d’activité biologique ont conduit Limagrain à constituer un groupe de travail avec une dizaine de producteurs pour acquérir des références en matière d’implantation du maïs semence en non labour. Les premiers protocoles ont écarté le semis direct (SD) qui entrainait de forts retards à la levée ; ces retards persistaient sur tout le cycle de la culture (l’utilisation d’un Khün Maxima pour ces essais a pu être un handicap dans la mesure où cet appareil n’est pas un spécifique du SD). Il n’a pas été observé de différence significative entre labour et TCS, ouvrant ainsi la voie des techniques simplifiées au maïs semence. En 2011, des semis directs ont été renouvelés, avec des couverts préalables à base d’avoine diploïde et légumineuse (trèfle incarnat, d’Alexandrie, féverole ou vesce velue). Les meilleures couvertures du sol et améliorations structurales ont été obtenues avec la vesce. Les résultats ont montré une perte de peuplement de 5 à 10 % entre le TCS et le SD. Un meilleur réglage du semoir et l’augmentation de la densité au semis seront proposés pour les semis à venir. La récolte 2012 n’est pas encore effectuée, mais les essais sont prometteurs et surtout ils montrent que le maïs semence en SD c’est possible. La destruction des couverts, réalisée jusqu’à maintenant au glyphosate, sera prochainement étudiée avec des options différentes. La fertilisation doit aussi être adaptée au non labour, de même que les stratégies de désherbage. L’objectif pour Limagrain est de fournir à ses producteurs une méthodologie de culture parfaitement maitrisée et apportant un bénéfice en terme de conservation des sols.

York Bayer, agronome de la région de Berlin en Allemagne est venu démontrer le lien très important qui existe entre la qualité de l’alimentation et la santé humaine et animale. Tout déséquilibre minéral existant dans le sol se propage inévitablement tout au long des chaînes alimentaires. Lorsque dans son champ, l’agriculteur observe une anormalité sur sa culture (couleur, forme ou courbure différente), il doit penser immédiatement à un déséquilibre minéral car même s’il s’agit de symptômes dus à une maladie ou à un ravageur, très généralement, ces attaques sont liées, au départ, à un déséquilibre minéral, carence ou excès. Ainsi, cette année, la présence anormalement élevée de botrytis sur colza traduisait une carence en calcium. L’inclinaison des siliques vers le haut est révélateur d’un manque de bore ou encore, le souffre est un élément essentiel dans la résistance des plantes aux attaques de champignons.
De manière générale, les plantes souffrant d’un déséquilibre minéral ont tendance à consommer plus d’eau, d’où, une déficience, trop souvent à tort attribuée à la météo.
York Bayer a, par ailleurs, rappelé la loi des maximums déjà présentée l’an dernier à Saint-Pouange par un autre spécialiste de la fertilisation, l’anglais Steve Townsend. La plupart des acteurs du monde agricole se basent sur la loi des minimums pour raisonner la fertilisation. D’après eux, il faut raisonner plus souvent avec la loi des maximums selon laquelle, lorsqu’un élément est en excès, il peut entraîner la carence d’un autre élément. Tous les éléments minéraux sont liés les uns aux autres. Pour ne citer que quelques exemples, la disponibilité en phosphore est liée à la présence de calcium mais aussi influencée par le magnésium. Le zinc, quant à lui, peut améliorer l’absorption du phosphore.

Marie-José Blazian est chargée des techniques culturales simplifiées chez Agro D’Oc, Union des CETA d’Oc. Cette structure, basée dans le Gers, apporte des conseils à près de 1000 agriculteurs du Sud-Ouest. Les sols sont de trois types : limoneux,  argilo-calcaires et alluvionaires en vallées. La pluviométrie est assez limitée, concentrée, en général en avril et mai, juste pour les semis de cultures de printemps, sur lesquels le non labour a été le plus travaillé, car plus délicats à mettre en œuvre que sur des cultures d’hiver. Les alluvions sont toujours ensemencées en maïs alors que les sols limoneux peuvent recevoir du maïs, du soja et des céréales (idem en argilo-calcaires mais avec aussi du tournesol, en sec). Les principales difficultés rencontrées et sur lesquelles il était important de fournir des solutions étaient l’érosion dans les coteaux mais aussi la battance dans les limons. Les adventices ont tendance à se complexifier avec l’arrivée de graminées résistantes. Une des solutions envisagées était l’allongement des rotations.
Aujourd’hui, chez les adhérents d’Agro D’Oc, 90 % des blés et environ 70 % des cultures de printemps sont implantés en non labour. Certains éléments sont désormais acquis : un sol n’est pas toujours prêt à accueillir la simplification du travail, surtout le SD. Les excès d’eau doivent être résolus, un drainage peut être envisagé en solution extrême.  Les couverts végétaux ne résolvent pas tout, et notamment ces excès d’eau. Une autre observation fondamentale est la nécessité d’une très bonne répartition des pailles à la moisson. » Le semis des blés est également bien validé avec un semis à la volée sur un précédent maïs grain, recouvert par mulchage ou broyage. Le colza associé, même s’il s’en fait moins que dans d’autres régions, a également été travaillé au sein de la structure de conseil. Il faut dire que la thématique des couverts est travaillé depuis plus de 15 ans chez Agro D’Oc. Ainsi, le fenugrec, la féverole, la lentille ou la vesce ont été expérimentés.  La lentille a un intérêt majeur car même si elle ne gèle pas, elle ne perturbe pas la croissance du colza au printemps. Des gains de rendement de 2,8 q/ha ont été obtenus avec l’association de cette légumineuse. Le semis direct sous couvert (SDSC) de maïs a, bien sûr, fait l’objet d’études au sein d’Agro D’Oc et ce, depuis 2006. En SD, chacun sait que la levée, retardée, pose problème. Les levées les plus rapides ont été obtenues lorsque le semoir est équipé de disques ouvreurs et d’éléments spécifiques permettant de refermer le sillon, type roues de fermeture crantées. De même, grâce à l’épandage d’une fertilisation starter, on obtient, en moyenne, une augmentation de rendement de 2 à 3 q/ha et une économie intéressante d’engrais par la suite. Certains adhérents d’Agro dOc sont allés plus loin en semant leur maïs dans un couvert vivant, notamment de féverole : celle-ci a une belle croissance au printemps et ne gêne pas le ressuyage ; sa destruction peut être faite par simple roulage, sans chimie. Les premiers cm du sol ont tendance à se dessécher rapidement et il faut vraiment du matériel spécifique pour semer dans ces conditions : disques ouvreurs indépendants et éléments semeurs avec possibilité de rajouter de la charge sur la partie ouvreuse. » Le semis direct de soja derrière blé est aussi une technique acquise, ne posant pas de problèmes insurmontables même lorsque les conditions de semis sont délicates. Les rendements moyens obtenus ne sont pas négativement impactés : 32 à 35 q/ha. En tournesol, la solution la plus avancée serait atteinte avec l’utilisation d’un strip-tiller, avec éventuellement la localisation d’un couvert dans l’inter-rang… Au niveau des rotations, les équipes d’Agro D’Oc se sont penchées sur la possibilité de mettre en place des rotations 2/2 comme 2 pailles – tournesol – lin – 2 pailles – pois protéagineux – colza – 2 pailles ou une paille – sorgho ou maïs en sec – tournesol. Et en irrigué : blé/soja – orge/tournesol – pois/tournesol – blé, soit 6 cultures en trois ans. Les résultats sont tout à fait satisfaisants. Des expérimentations variétales spécifiques sont aussi menées en condition d’agriculture de conservation.

Jay Fuhrer, agronome américain venu du Nord Dakota était enfin, l’autre international de la journée. Jay était déjà venu présenter ses travaux de développement lors du festival qui s’était déroulé, il y a 3 ans, au lycée agricole de Vendôme.
Il a d’abord tenu à rappeler l’importance des acteurs principaux du sol, au nombre de 4 :
• Les bactéries, décomposeurs de base, agissant sur les chaînes carbonées les plus simples,
• Les champignons, notamment les saprophytes, premiers acteurs de la décomposition sur la planète et agissant plutôt sur des chaînes carbonées complexes. Sans oublier les mycorhizes, prolongement ultra-efficace des systèmes racinaires de la très grande majorité des plantes.
• Les protozoaires, se nourrissant de bactéries et de champignons. «  Ce sont eux qui ouvrent le sac d’engrais », mentionne le spécialiste.
• Les nématodes, eux aussi consommateurs de bactéries et de champignons, et donc aussi « libérateurs » d’éléments nutritifs.

J. Fuhrer a ensuite énuméré et étayé tous les principes fondamentaux permettant de dynamiser le système sol-plante et donc de le rendre performant pour la production :
– maintenir, en permanence, un sol couvert,
– diminuer les perturbations du sol,
– diversifier les cultures,
– avoir des plantes vivantes en continu,
– et intégrer l’élevage dans tout cela.

L’américain insiste en effet énormément sur ce dernier point et donne en exemple ce qu’a aussi présenté Sarah Singla : le mob grazing ou l’art de faire pâturer un très grande nombre d’animaux (à ne plus voir la surface du sol ou presque) en un temps minime (quelques heures), puis les changer de place et ainsi de suite. L’idée est qu’après ce pâturage intensif mais réduit dans le temps, on obtienne un tapis de résidus au sol associé aux déjections, sans pour autant voir la terre. Les animaux n’abîment donc pas la structure mais fournissent une grande quantité de nourriture aux habitants du sol, tout en fertilisant. « D’une année sur l’autre, vous pouvez implanter des mélanges aux C/N différents, avec plus ou moins de carbone ou d’azote. Ainsi, vous privilégiez, en fonction de la couverture végétale implantée et pâturée, soit les champignons plus à même de consommer les résidus plus fortement carbonés, soit les bactéries lorsque les résidus sont plus riches en azote », détaille J. Fuhrer.
Dans ce système, il est aussi essentiel de varier le type de troupeau : une fois, cela peut être des moutons, une autre fois des vaches ; les deux ayant des préférences alimentaires différentes et donc un impact sur la vie biologique du sol différent. « En mettant en œuvre tous ces principes et en intégrant ce type de pâturage, il est tout à fait possible, dans nos plaines du Dakota, de produire 65 q/ha de maïs avec seulement 200 mm de pluie comme cette année », conclue l’américain.

Avec l’aimable collaboration de Cécile Waligora

De passage en France, il était naturel que Carlos Crovetto, l’agronome chilien auteur « des fondements de l’agriculture durable », vienne apporter son témoignage et son expérience à notre festival NLSD.
A 80 ans, Carlos reste un des pionniers du semis direct. En presque 5 décennies d’observations et expérimentations, il a réussi, par un retour à l’agronomie fondamentale, à recréer un sol fertile sur ses terres chiliennes. C. Crovetto a, une nouvelle fois, offert une prestation passionnante, atteignant son but : chacun savait, à l’issue de son intervention, ce qu’il lui restait à faire : « le grain, c’est pour l’homme, la paille, c’est pour le sol ! »

« Tout ce que j’ai réalisé, c’est ma terre qui me l’a enseigné, grâce à ses leçons permanentes, tout au long de près de 50 ans de travail. Je suis fier de cet apprentissage quotidien, et j’observe avec joie comment notre travail a transformé peu à peu le sol érodé en collines vertes et productives qui, aujourd’hui, alimentent les hommes, embellissent le paysage et sont la promesse d’un futur meilleur ».

Sarah Singla, jeune SDiste aveyronnaise, est venue présenter la bourse Nuffield dont elle a bénéficié (www.nuffieldfrance.fr) et qui lui a permis de voyager à travers le monde et découvrir ainsi différentes approches de l’Agriculture de Conservation. Elle a beaucoup insisté sur le fait qu’en AC, lorsqu’on est céréalier comme elle, on est forcément aussi éleveur : de vers de terre, de carabes, de toute la flore et la faune présente sous la surface et au dessus. La présentation de l’expérience américaine de mob grazing développée, notamment, sur le domaine Polyface était aussi particulièrement remarquable. Le principe, comme évoqué précédemment, est simple : faire pâturer une forte densité d’animaux sur une surface restreinte mais en les changeant très régulièrement de place, histoire d’entretenir beaucoup plus efficacement un couvert végétal et la vie biologique qui lui est associée. Les animaux peuvent tout aussi bien être des bovins, ovins que des poules ou des lapins ! A voir sur le site www.polyfacefarms.com