2009, la première dans un lycée

Pour sa 11e édition, le festival de non labour et semis direct (NLSD) s’est déroulé au Lycée d’enseignement général et technologique agricole (Legta) de Vendôme à Areines (41). Il y a connu un beau succès, avec plus de 2 000 visiteurs, succès qui s’expliquait par un engouement déjà croissant des professionnels agricoles pour les TCS.L’association NLSD avait souhaité implanter son 11e festival dans un lieu de formation : le Legta de Vendôme. Avec l’accord des responsables pédagogiques du lycée, le rapprochement entre le NLSD et le LEGTA avait premièrement pour but de sensibiliser les futurs acteurs du monde agricole aux pratiques d’une agronomie innovante.

A la suite de deux éditions très riches en conférences, le NLSD avait voulu en 2009, avec le soutien de Frédéric Thomas et son équipe, approfondir l’approche du Nord Dakota pour faire suite à l’intervention de Dwayne Beck, originaire de cet État. Cette région des États-Unis est un modèle de difficultés agronomiques. Avec une faible pluviométrie et une agriculture initiale ressemblant aux grandes plaines du Far West, les farmers de la région de Bismark, avec des combinaisons de cultures et d’élevage originales, étaient en train de réussir une prouesse technique comparable à ce qui avait été réalisé par Carlos Crovetto au Chili.

Les agriculteurs et techniciens français n’étaient déjà pas en reste, en particulier ceux de la région Centre au sein de laquelle s’est déroulé le festival. Leur détermination (au prix de certains sacrifices parfois !) permet de présenter aujourd’hui des résultats très positifs sur l’avancée d’une agriculture mobilisant la réflexion, économe en intrants, et que certains qualifient « d’écologiquement intensive ».

Les différentes interventions

Jay Fuhrer travaillait pour le National Resource Conservation Service (NRCS). Chargé de conseiller des agriculteurs dans une région du Nord Dakota, il est proche de Gabe Brown, agriculteur et explorateur sur le thème de l’agriculture durable.

Le système initial de cultures était basé sur une forte consommation d’intrants, des sols peu filtrants et peu fertiles, des taux de matière organique faibles. Les cultures, à base de blé ou de lin, étaient très peu diversifiées. L’élevage se caractérisait par une longue saison de pâturage sur des prairies naturelles.

Actuellement, la situation pour 1 793 ha de cultures et pâturages a évolué avec l’achat en 1993 d’un semoir direct. Les taux de matière organique relevés sur ces hectares vont de 1,7 % à 4,3 % ; les parcelles ne sont pas pâturées plus de 5 jours par an.
Les cultures de couverture sont un relais entre les pâturages et les cultures. Une réduction de l’utilisation des herbicides de 75 % a été opérée. Certaines parcelles n’ont pas reçu d’herbicides pendant 3 ans, les achats d’engrais ont été restreints de 90 % ; le coût de revient du maïs est de 1,18 $ par boisseau (soit 32,41 € la tonne).

Le principal moyen pour arriver à de tels résultats a été une grande diversification des cultures, imitant en ce sens les prairies naturelles.

Les cultures d’été utilisées sont : la luzerne, le sarrasin, les pois d’oisellerie, l’amarante, les cowpeas (pois fourragers), le soja, le carthame, le tournesol, le maïs, le millet, le sorgho grain et fourrager.
En saison plus fraîche, on trouve : l’orge, le blé dur, l’avoine, les blés de printemps et d’hiver, le riz, le triticale, le colza, le navet, le chou, le lin, le lupin, les pois, les lentilles, les radis, la moutarde, le colza fourrager, le trèfle incarnat et le mélilot.

Cette diversité d’espèces fournit un équilibre varié à la chaîne alimentaire du sol. Les mycorhizes (champignons du sol) sont les vecteurs des interactions entre plantes. Elles favorisent l’absorption par les racines des éléments minéraux (azote-phosphore) de la rhizosphère et assistent ainsi les transferts de ces éléments minéraux entre les légumineuses et les autres plantes.

D’après Gabe Brown, 1 % de matière organique équivaut à 0,45 tonne de carbone, 0,45 tonne d’azote organique, 45 kg de phosphore et 45 kg de soufre. Avec la minéralisation, cette quantité de matière organique fournit entre 25 et 40 unités d’azote à l’hectare.

En 2008, entre un maïs fertilisé avec 100 unités d’azote au démarrage et un maïs non fertilisé, le rendement a été le même (70 quintaux). Les deux cultures ont reçu 50 tonnes de fumier. En 2009, le résultat moyen sur l’exploitation avec uniquement du fumier a été de 78 quintaux par hectare.

Un exemple d’itinéraire cultural

Une association triticale/vesce récoltée mécaniquement pour les animaux et pâturée en fin de cycle. Au printemps suivant, semis de maïs dans les résidus à l’aveugle sans aucune perturbation du sol. Levée uniforme du maïs au sein duquel une sorte de pois fourrager est semée.

C’est cette intégration entre élevage et culture, avec une grand diversité des espèces qui a permis de réduire considérablement les coûts de revient. Le pâturage des parcelles a toujours un effet positif sur la culture suivante.

Dans leurs prospections agronomiques, ces agriculteurs travaillent avec des analyses de bactéries et de champignons du sol. Alors que le ratio entre ces deux types de micro organismes est de l’ordre de 10 sur un sol travaillé de façon conventionnelle, il doit se rapprocher de 1 pour que le sol atteigne la maturité dans sa « toile alimentaire ». A ce stade, les réductions d’intrants seront maximales. Afin d’agir sur ce ratio bactéries/champignons, Gabe Brown et son équipe travaillent à la mise au point d’une sorte de purin (thé) obtenu après décoction d’un compost. Ce produit épandu sur la culture aurait un effet bénéfique aussi bien sur les plantes (meilleure résistance aux maladies) que sur les caractéristiques du sol.

Les conférences organisées tout au long de la journée avaient fait salle comble malgré un auditorium de 400 places qui s’est même trouvé exigu ! Les interventions répondaient à des besoins de recherches techniques et d’échanges sur les pratiques culturales.

Frédéric Cadoux de la Chambre d’agriculture du Loir-et-Cher

Il avait présenté trois essais de plates-formes de couverts végétaux (Sud Loire, Beauce et Perche) suivis par la Chambre d’agriculture du Loir-et-Cher pendant plusieurs années.

Les plantes testées seules et en mélanges étaient les suivantes :
– crucifères : la moutarde, le colza fourrager, le radis chinois et la navette
– graminées : l’avoine brésilienne, l’avoine classique et de printemps
– légumineuses : la féverole, la vesce, la gesse, le pois fourrager, le trèfle incarnat et le trèfle d’Alexandrie
– autres plantes : le tournesol, le nyger et le sarrasin.

Finalement, le radis fourrager et le pois fourrager offrent les meilleurs résultats. Mais la climatologie pouvait favoriser l’une ou l’autre des espèces ; voilà pourquoi il recommandait des mélanges. D’une manière générale, le mélange se comporte mieux que chacune des espèces prises individuellement.
Le mélange pois, vesce, phacélie, radis offrirait un bon compromis régional.
Les productions de biomasse pour la première année sur une parcelle étaient inférieures à celles produites sur des parcelles accoutumées, les inoculations de légumineuses se développant avec les cultures successives.
Par rapport à l’azote fixé par un couvert (qui peut aller jusqu’à 170 unités dans ces expériences), on considère qu’une part de 30 à 50 % est restituée à la culture suivante.
Le trèfle d’Alexandrie est mieux adapté au sol sableux, alors que le trèfle incarnat conviendrait mieux aux sols argileux.
La vesce velue est mieux adaptée au sable que la vesce commune qui préfère les sols argileux.
Parmi les graminées, l’avoine brésilienne a un meilleur tallage que les autres avoines.
Il est recommandé de ne pas utiliser des crucifères seules : encore une fois, préférer les mélanges.
Entre la semence, l’installation et la destruction, le coût d’un couvert est estimé à une centaine d’euros.

Gilles Sauzet du Cetiom (Centre technique interprofessionnel des oléagineux métropolitains, devenu depuis Terres Inovia)

Il était intervenu sur l’évolution des modes d’implantation du colza. Les clés de réussite d’une culture de colza :
– 20 à 50 plants au m² au semis ;
– 600 grammes de biomasse par m² à l’entrée de l’hiver ;
– 1 pivot de 15 cm à l’entrée de l’hiver ;
– 5 000 grammes de biomasse au stade F2, G1 (floraison, chutes des premiers pétales).

Il a comparé divers modes d’implantation. Le semis direct apporte souvent un plus dans les conditions locales où les systèmes traditionnels avec un ou plusieurs passages de canadien conduisent à des levées de mauvaises herbes importantes (le géranium).

Les associations culturales, notamment avec des légumineuses comme les lentilles, sont aussi porteuses d’espoir. Avec le semis direct, ce sont elles qui, en donnant une meilleure nutrition azotée, procurent les meilleurs rendements.

Des travaux complémentaires sont en cours sur les systèmes de cultures et la recherche de plantes gélives seules ou en association.

Agrifaune – Florence Lavie et Thierry Pasquier (Gaec des Lys) – Chambre d’agriculture de la Sarthe

Dans le cadre d’un programme d’expérimentation suivi par la Chambre d’agriculture de la Sarthe sur l’exploitation du Gaec des Lys, une série d’observations pluriannuelles sur les couverts a confirmé les observations réalisées sur d’autres sites. Elles confirment l’intérêt des mélanges d’espèces, de même que l’inadaptation de la moutarde avant une culture de maïs.

Les quantités de matière sèche (MS) extraites ont été en moyenne de 1,8 tonnes par ha en 2007, 2,8 tonnes par ha en 2008 et 2,2 tonnes par ha en 2009, mais avec une grande variabilité.

En général, les couverts mono-espèces et le mélange seigle-avoine-phacélie-vesce ont produit moins de 1,5 tonnes de matière sèche à l’hectare, alors que les autres mélanges à 2, 3 ou 4 espèces ont produit plus de 2,5 tonnes à l’hectare.

Les couverts ayant produit plus de 2,5 T MS sont :
avoine brésilienne +moutarde
tournesol+phacélie,
vesce + seigle,
radis + vesce commune,
radis + vesce velue,
avoine + vesce commune
sarrasin+vesce,
avoine brésilienne +navette,
avoine brésilienne +phacélie,
trèfle d’Alexandrie .+moha,
avoine brésilienne + moha + phacélie,
NFix+radis,
Tournesol + phacélie + NFix + moha

La faune sauvage a besoin pour vivre de milieux divers et variés qui évoluent selon les saisons. Ceux-ci leur servent à la fois de lieu d’alimentation, de refuge et de reproduction.

La chambre d’Agriculture de la Sarthe participe également à des essais d’allongement des rotations.

Philippe Pastoureau, agriculteur dans la Sarthe

Philippe Pastoureau s’est lancé dans les années 1995-2000 dans des TCS intensives qui se sont tout d’abord soldées par un échec. Avec le recul, il estime qu’il n’avait pas suffisamment anticipé ce changement cultural.
Il travaille en Cuma, avec des éleveurs. Après des visites en Amérique du Sud, il s’est inspiré des travaux d’Odette Ménard, pour qui le sol doit toujours être couvert. Les associations de cultures sont aujourd’hui à la base de son système écologiquement intensif. Il compte sur les rotations pour réduire ses intrants. Les résidus de récolte sous lesquels il place ses semences font l’objet d’une grande attention. Il sème ses maïs dans un couvert de seigle. Après roulage, il transforme le seigle en paillage à travers lequel passe la lumière.

Il a structuré son système rotationnel sur 8 ans :

1 Ray Grass ensilé pour les bovins
1-2 Ray Grass en couverture
2 Maïs grain récolté tard
2-3 Pois de printemps
3 Haricot
3-4 Blé
4-5 Couvert de seigle
5 Maïs
5-6 Blé
6 Couvert de féverole
7 Haricot de printemps
7 Colza
7-8 Blé
8 Maïs

Pour les 4 dernières années, l’alternance entre dicotylédones et graminées et entre plantes d’hiver et d’été réduira l’utilisation d’herbicides.

Frédéric Thomas en Sologne

Une forte hydromorphie hivernale et un excès de sécheresse estivale ont découragé une grande partie des agriculteurs de sa région qui ont préféré opter pour la chasse.
Dans ces difficiles conditions, le non labour était un challenge qui s’est avéré positif. Les taux de matière organique étaient tellement bas au départ que l’appel à des composts extérieurs, avec des corrections de phosphore et d’oligo-éléments, a permis d’accélérer le processus. Les couverts ont fissuré les argiles, captant l’eau profonde en été et procurant un assainissement pour l’hiver.
Pour un triticale semé après couvert, Frédéric avait un prix de revient (net y compris foncier et main d’œuvre…) de 110 € la tonne. C’était de ce fait nettement mieux que le prix de revient national français qui est de l’ordre de 165 €. Enfin, en maïs, il arrivait à un prix de revient de 80 € la tonne.

Christophe Riou en Sologne

Avec des terres difficiles en Sologne, Christophe Riou gère la matière organique à travers les cultures. Il préfère les cultures dérobées aux couverts. Son sol est occupé en permanence, son assolement est décidé à vue, en fonction des circonstances. Les cultures sont systématiquement enchaînées.

Bruno Hyais dans le Loiret

Après 20 ans de semis direct, Bruno Hyais s’accommode bien de « travailler moins pour gagner plus ». Depuis 12 ans, il a sérieusement réduit son poste fertilisation, en appliquant ses engrais au plus près de la racine.
D’après lui, le relèvement de la matière organique ne règlera pas tout, il est convaincu que la localisation des engrais peut lui fournir une grande marge de progression.

Michel Cartier dans le Cher

Travaillant dans une zone de captage d’eau potable dans le Cher, Michel Cartier a expérimenté l’association de cultures au colza. Une première tentative avec tournesol, sarrasin, phacélie et trèfle d’Alexandrie ne s’est pas avérée concluante. Si les trois premières espèces ont bien gelé, le trèfle d’Alexandrie a fortement concurrencé le colza. Il teste actuellement un mélange colza sarrasin nyger caméline et tournesol derrière lentille.

Sylvain Rétif dans le Loir-et-Cher

Sylvain Rétif travaille 270 ha de petites terres limoneuses rocheuses, humides en hiver et séchantes en été.
Orienté naturellement en TCS, avec un Horsch en 1996, il sème ses colzas en simplifié, rassemblant des andains de paille tous les 24 m dans les passages de pulvérisateur. La faune dégrade ces andains dans l’hiver. Il décale ensuite les andains de 2,40 m tous les ans pour couvrir ainsi toute la parcelle.
Aujourd’hui, Sylvain associe son colza à du tournesol (pour décompactage) et du pois (pour l’azote). Il arrive à ne pas utiliser d’anti-dicotylédones. Le comportement de ses tournesols associés à du sarrasin est bon, mais il a des difficultés de triage entre petits grains.
Il fonde de grands espoirs sur les associations d’espèces. Un blé est toujours mieux avec de la vesce. Chez lui, la couverture du sol est systématique pour éviter le salissement.
Il souhaiterait voir se développer une bourse d’échanges de semences entre agriculteurs.